lundi 9 avril 2018

On a toutes une histoire d'agression




Je crois que mon éveil féministe à proprement parler a commencé durant la période où je me suis faite "agressée" dans les transports en commun. J'ai du mal à ne pas mettre "agressée" entre guillemets parce que j'ai toujours l'impression de passer pour une drama queen en employant ce terme. Pourtant, il s'agissait bien d'agressions puisque cela s'est passé sans mon consentement et la loi parle même d'agressions sexuelles dans les 2 histoires que j'aborderai, qui sont donc des délits punis par la loi. 


Même si les textes de loi sont de mon côté, j'estime ne pas être légitime à employer ce terme haut et fort, car l'agression sexuelle regroupe plusieurs typologies de violences et notamment le viol, dont je n'ai pas été victime. Du coup, quand on se dit que le "pire" n'est pas arrivé, on a tendance à vouloir minimiser, à vouloir taire et puis, indirectement peut-être, à ne pas prendre le sujet assez au sérieux.


Cela m'est arrivé une première fois en 2014, j'avais 20 ans. J'ai sûrement tort de le faire, mais je vais préciser que je portais une robe avec des collants, robe qui est au fond de mon armoire et que je n'ai jamais plus re-porté après cet événement.

Je rentre de la fac un peu plus tôt qu'habituellement, en plein après-midi. Il fait beau. Je suis seule dans un métro où il n'y a pas grand monde et m'assoie donc sur un banc de deux, côté fenêtre, mon grand sac posé sur les genoux. Une homme entre dans la rame, la cinquantaine je dirai, très propre sur lui, il porte un grand caban beige. Alors que la rame est vide, il décide tout de même de venir s'asseoir à côté de moi. La ligne n'est pas tout de neuve donc elle "bouge" pas mal et j'ai l'impression de sentir quelque chose sur le haut de ma cuisse, près de mon entrejambe. Je soulève mon sac à plusieurs reprises pour regarder, mais à chaque fois, je ne vois rien. Je vois la main gauche de l'homme, celle qui est de mon côté, posée sur sa mallette. Cela me semble bizarre, mais je me dis que c'est certainement quelque chose dans mon sac ou que c'est dans ma tête.

On arrive à ma correspondance donc je descends en passant devant l'homme qui semble donc rester sur la ligne. Je me dirige vers un autre métro, entre dans une nouvelle rame, elle aussi quasiment vide et reste debout, appuyée contre les strapontins. Au moment où les portes se ferment, j'aperçois l'homme monter in extremis dans le même wagon que moi. Il reste proche de la porte. Sur le coup, je commence à me méfier car je ne l'avais pas vu descendre. Je l'observe discrètement et remarque une alliance sur sa main gauche. A la station suivante, il s'approche et s'assoie sur le strapontin à côté de moi tandis que je suis toujours debout, mon sac contre moi.

Là, je sais. Mais je ne bouge pas.

Le métro part à nouveau, je sens à nouveau quelque chose sous ma robe. Je pousse violemment mon sac et vois l'homme retirer rapidement sa main et faire comme si de rien n'était. Je suis sous le choc, m'écarte et hurle. L'homme m'ignore et tourne le regard, les quelques voyageurs me regardent mais ne réagissent pas. Dans la panique, je sors du métro et l'homme me suit. Ce n'est pas ma station, donc je marche vite en essayant de le semer. Il finira par partir. 
Après coup, je réalise que l'homme me touchait avec sa main opposée à moi, en la passant sous son manteau. Sa main qui était de mon côté restait donc visible et c'était ainsi cela qui m'avait fait douter. 

Après cette première agression, j'ai beaucoup culpabilisé de ne pas avoir davantage réagi et de ne pas avoir su me défendre. J'ai été très en colère contre moi-même et m'étais alors promis de ne plus me laisser faire. Il était hors de question que l'agresseur s'en tire aussi facilement. Je prévoyais déjà mes réactions pour la "prochaine fois" et oui, c'est à nouveau arrivé.

Juin 2014, soit quelques mois après ma première agression. C'est la grève dans les transports parisiens, mais je dois tout de même me déplacer car nous sommes pendant la période de partiels. Je le précise à nouveau, mais je porte également une robe. Je suis déjà particulièrement stressée car je n'ai qu'un RER par heure et que j'ai prévu large, mais qu'il y a beaucoup de retards rapport au fait qu'il y a beaucoup trop de monde en comparaison à la place restante dans les wagons. Je commence à stresser sérieusement car je dois à tout prix monter dans le RER qui arrive, sinon je n'arriverai pas à temps pour mes partiels. Lorsque celui-ci arrive, je suis bien déterminée à monter !
Les portes s'ouvrent, ça pousse pas mal, on force pour monter. Au moment où je pénètre dans le wagon, je sens des mains qui caressent pleinement mes hanches et mes fesses. Sans aucune gêne. Je sursaute, me retourne et commence à hurler à la gueule de l'homme qui était en train de me toucher en dénonçant ce qu'il venait de me faire. Le wagon est blin-dé. Le connard fuit mon regard et ne répond pas à mes insultes. Je continue ma tirade, en l'insultant, en le bousculant pour qu'il s'éloigne de moi, bref, on entend que moi dans tout le wagon. Pourtant, personne ne prendra ma défense. C'est moi la folle.
J'arrive à m'éloigner un peu, mais l'homme reste pas très loin, trop proche de moi. Quand je réalise que je reste seule face à lui sans aucun soutien, je m'effondre. Le stress de la grève, de mes partiels et ça, je me mets à pleurer au milieu des gens. Personne ne réagira. On arrive dans la grande gare dans laquelle quasiment tout le monde descend, donc lui aussi. Je commence à ressasser la première agression et à me souvenir de la promesse que je m'étais faite : je décide d'aller le retrouver car j'ai vu qu'il était descendu sur le quai à l'étage en-dessous. Je le repère facilement avec son t-shirt à rayures : je fonce, je le bouscule, je le regarde droit dans les yeux et lui hurle les dernières insultes  et menaces que j'ai dans mon registre, en prenant à témoin les gens autour de moi et en dénonçant ce qu'il m'avait fait. L'homme semble bouchée bée. Je termine ce que j'ai à dire et je m'en vais, les larmes bien séchées et la tête bien haute.

Après coup, j'ai ri toute seule en réalisant que j'étais certainement très ridicule, mais cela m'a fait un bien fou d'avoir pu vider mon sac. Je voulais qu'il se souvienne de mon visage et qu'il re-pense à moi la prochaine fois qu'il aura envie de foutre ses mains de gros pervers sur une autre femme. 


Ces deux événements m'ont énormément fait réfléchir : la réaction des gens quand je leur racontais, ma volonté de minimiser les faits, la non-assistance des témoins, la honte que j'ai pu ressentir après ou encore la façon dont j'ai modifié mes tenues pour éviter que cela ne recommence. J'avais partagé ces histoires sur mon ancien blog et avais reçu beaucoup de réactions qui m'ont fait découvrir des sujets que je ne connaissais pas encore tels que le harcèlement de rue, le victim blaming ou encore le problème de l'appropriation de l'espace public par les hommes.

Depuis, je n'ai cessé de me documenter et d'en parler autour de moi, profondément animée par l'envie de faire changer les choses


10 commentaires so far

  1. Merci. Merci d'oser dire. Merci d'avoir su/pu réagir. Merci de partager ton expérience. Et, non la robe n'est pas un point justifiant quoique ce soit. Triste du manque de réaction de l'entourage.

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    1. Hello,

      Merci beaucoup pour ton message. C'est toujours difficile d'écrire ce genre d'articles, mais c'est important que les gens sachent que cela arrive à beaucoup trop de femmes...

      A très vite xx

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  2. Je suis en train de bouillonner de rage en lisant ton article. Je suis vraiment révoltée qu'ils se permettent de toucher des inconnu.e.s, de profiter de la foule... Et je suis d'autant plus énervée quand tu expliques que personne ne réagit. On vit vraiment dans une société malade. Et tout ça n'était pas de la faute de la robe, ou la tienne, et tu n'as pas à culpabiliser de n'avoir pas réagi plus tôt. C'est de leur faute. Toujours.
    Bravo à toi pour avoir eu le courage de leur dire d'arrêter, bravo à toi pour cet article (c'est jamais facile d'écrire sur ça).
    Merci pour ton article !

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    1. Oh merci pour ton message ! :)
      Le temps a passé donc je sais aujourd'hui que je n'y étais pour rien, mais mine de rien, je continue d'adapter ma tenue en fonction de l'heure à laquelle je compte rentrer...

      Merci encore <3

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  3. Je me souviens parfaitement de l'une de ces deux histoires au moment où ça t'était arrivé... Je suis toujours profondément désolée que ça te soit arrivé, même si je sais que malheureusement, ça nous arrive à toutes au moins une fois dans nos vies... C'est aliénant de se rendre compte comme ils ont bien préparé leur coup et comme, malgré ta prise de parole, personne ne t'a tendu la main. Y a de quoi en crier en pleurer et on a l'impression que cette réaction totalement normale au vu de ce qu'il vient de se passer... est tournée en ridicule ou en exagération du simple fait que la détresse n'est entendue par personne d'autre que nous-mêmes.
    Je te confirme en tout cas que ces deux agressions en sont bien, et qu'il n'y a pas besoin d'ajouter de guillemets. Les agresseurs ne sont pas de pauvres hommes perdus dans la misère sexuelle (preuve en est que l'un des deux était même marié). Ils ont réfléchi à leur coup et surtout ils ont réfléchi à comment détourner le regard et faire comme si de rien était si la victime se défendait verbalement.
    Ce sont des agresseurs qui ont pleinement réfléchi à comment ils allaient agresser.
    Or nous, on ne réfléchi pas forcément à comment on se défendrait dans ces moments là et même si on le faisait, ça nous choquerait de toute façon tellement qu'il est fort possible qu'on ne puisse rien faire ou pas comme on le voudrait, ce qui vient nous donner l'impression que c'est notre faute de s'être faites avoir.
    Sauf que non, tu prenais simplement les transports, et il a mis en place toute une stratégie d'agression en te prenant pour cible.
    J'ai pas l'impression qu'il y ait de bonne ou de mauvaise manière de réagir, la société voudrait que tu sois terrorisée et effondrée et que l'agresseur soit un homme sale et louche alors que toi tu es une frêle colombe qui a besoin d'aide. Mais la réalité c'est que l'agresseur peut être n'importe qui, même un PDG marié, et la cible peut être n'importe qui, même une femme mûre qui ne correspondrait pas aux normes de beautés. Mais le fait que ça ne corresponde pas au schéma de l'agression dessiné par la société joue en la faveur de l'agresseur, et il le sait. C'est un stratège, c'est pas un homme désespéré.
    Et toi, tu n'y es pour rien...

    Je t'embrasse fort et à bientôt ma belle.

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    1. Coucou ma belle !

      Oh j'étais persuadée de t'avoir répondue, je ne sais pas ce que j'ai fait !
      Comme toujours, tes mots sont un énorme plaisir à lire.
      J'ai lu pas mal d'ouvrages qui parlaient justement du "stéréotype" de l'agresseur (en l'occurrence, ils parlaient surtout du stéréotype des violeurs). Il y avait pas mal de stats qui prouvaient justement qu'il n'y avait pas de portrait de robot d'agresseurs et que beaucoup en jouaient. Comme tu le dis, ils sont pleinement conscients de ce qu'ils font et élaborent des stratagèmes en étant quasi-certains qu'ils ne risqueront rien et la preuve : pris en flagrant délit, personne ne réagit...

      Merci en tout cas, à très vite xx

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  4. tu as été loin d'être ridicule. Tu as été très forte d'avoir oser le retrouver et lui dire ses 4 vérités.
    Je n'ai pas su faire ça, j'avais trop peur d'une agression sexuelle lorsque ça m'ait arrivé.
    La seule chose dont j'ai été fière c'est que j'ai su lui mettre une petite patate dans le ventre en lui disant "DEGAGEEE" puis à courir près d'un autre homme qui m'a demandé "si ça allait, si (j')avais besoin d'aide".
    En me retournant, l'homme n'était plus là.
    (et je précise juste que j'étais en manteau d'hiver, écharpe, pantalon. Bref rien qui puisse dire à quelconque idiot que c'est dû à ma tenue si je me suis faite agressée)
    Je ne logeais pas chez moi ce jour là, et lorsque je suis arrivée chez ma connaissance en lui disant ce qu'il m'ait arrivé, elle l'a tout simplement dénigré et minimisé. J'ai été juste choquée..

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    1. Hello,

      Merci d'avoir partagé ton histoire, c'est vraiment effrayant de voir à quel point c'est devenue courant... Je suis aussi assez choquée que ta connaissance n'est pas su voir à quel point cela t'avais affectée. Malheureusement, il y a encore beaucoup de tabous et d'idées préconçues sur ce genre d'agressions...

      A très vite xx

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  5. J’ai honte..
    un homme

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    1. Heureusement que tous les hommes ne sont pas à mettre dans le même sac.
      Merci d'avoir pris le temps de lire mon histoire.

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Merci pour vos petits mots !

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