lundi 14 mai 2018

Qui a tué mon père : ode aux « assistés »



Vous connaissez Edouard Louis ? C'est un tout jeune écrivain, notamment auteur du livre En Finir avec Eddie Bellegueule, que j'ai lu l'an dernier. Dans ce livre, il réglait en quelques sortes ses comptes avec sa famille. La campagne profonde du nord de la France, l'usine, les aides sociales, l'absence de diplôme et de valorisation de l'enseignement, l'alcool et l'éducation par la télévision et j'en passe. Edouard Louis raconte comment il a grandi dans cette famille qui ne lui ressemblait pas et comment il a arrêté d'être Eddie Bellegueule lorsqu'il a commencé à assumer son homosexualité et qu'il a rejoint la capitale pour faire de brillantes études. 


J'avais été assez déroutée par cette lecture. Un livre coup de poing dont on apprécie l'intimité mais qui fait grandir un sentiment de malaise au fil des pages... Je ne suis pas certaine de l'avoir aimé, mais j'ai apprécié l'homme. 


Comme on en entendait beaucoup parler, j'ai acheté son dernier roman sorti ce mois-ci "Qui a tué mon père". Un peu moins de 90 pages que j'ai lues d'un traite. 

Dans ce troisième livre, Edouard Louis écrit son père et le décalage entre ces deux personnes que tout a toujours opposé. Son père qui a grandi dans le Nord et dans la misère, victime d'une société qui fonctionne mal. J'ai beaucoup apprécié la dimension sociale et politique que je ne pensais pas trouver dans ce livre. Il m'a fait m'interroger sur le déterminisme et la reproduction sociale. Et c'est alors que je viens de le terminer que je me retrouve à écrire ces quelques lignes. 

Je me souviens avoir entendu pour la première fois ces mots pendant un cours de sociologie en SES en terminale. Avec un prof que j'admire toujours, près de 6 ans plus tard. "On a plus de probabilité d'être ouvrier lorsque l'on a un père ouvrier" et parallèlement "On a plus de probabilité de devenir un cadre lorsque l'on a un père cadre". Je me souviens qu'on lisait le tableau qui reprenait ces statistiques, et que c'était dans la diagonale, lorsque le métier du fils était le même que le métier du père, que l'on retrouvait les plus gros chiffres. Et cela m'a beaucoup marqué. 

Je me souviens également qu'elle nous avait dit qu'un ouvrier avait une espérance de vie plus faible qu'un cadre. Je trouvais cela à la fois triste et révoltant qu'un enfant d'ouvrier perde son père plus tôt qu'un enfant de cadre. 

Nous avions ensuite abordé l'égalité des chances et le fait que l'on ne commençait pas tous la course de la vie au même niveau. Et puis on a évoqué les obstacles, pas aussi nombreux et complexes pour tous. J'étais dans un lycée somme toute assez banal mais je venais d'un collège dont nous n'étions pas nombreux à avoir poursuivi une filière générale. Je me suis souvenue de ces élèves paumés qui séchaient les cours, ne faisaient pas leurs devoirs et se fichaient de ne pas avoir des notes correctes parce qu'ils n'avaient aucune pression parentale à la maison. Je pensais à l'époque que c'était du je-m'en-foutisme ou de l'insolence. Et j'ai réalisé que c'était peut-être ces obstacles qui les avaient poussé à baisser les bras. Parce que c'était pas facile d'apprendre ses poésies, de faire ses exercices de maths ou de réviser ses dates en histoire lorsqu'il n'y a personne pour vous aider à la maison. Que lorsque l'on ne parle pas de politique à table, c'est pas juste la leçon qu'il faut revoir, mais toutes les bases et les fondations qui sont manquantes et qui rendent les connaissances branlantes. 

En bref, à la fin de "Qui a tué mon père", il n'y a pas de point d'interrogation, parce qu'on sait. Edouard Louis revient sur un épisode survenu à Noël alors qu'il a 7 ans et interroge 20 ans plus tard : "Est-ce que tu m'avais déjà fait comprendre que nous faisions partie de ceux que personne ne viendrait aider ?". 

Les « assistés », les « fainéants » ou encore ceux qui devraient travailler pour pouvoir « se payer un costard ». Edouard Louis accuse. 


Il est publié chez Seuil.

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